dimanche 22 décembre 2013

Ancient Domains Of Mystery jeu développé par Thomas Biskup (1994)


Une dragonne très possessive

Ancient Domains Of Mystery est le rogue-like de l’allemand Thomas Biskup auquel je me suis plongé pendant deux mois afin d’en découvrir la fin après que lui y soit immergé depuis près de 20 ans. Et j’y suis presque arrivé ! Je suis mort au tout dernier niveau…


Comme tous les rogue-like, l’intérêt réside dans la mort. Une fois mort on recommence depuis le tout début peu importe le nombre d’heures passées, on doit donc réitérer inlassablement les mêmes actions, créer son personnage refaire les première quêtes etc… Pourtant on ne repart pas de rien, car notre expérience grandit à chaque partie : éviter tel piège, telles zones à éviter, quels sont les caractéristiques de tel monstre ou de tel objet. On est au fur et à mesure des essais absolument immergé dans cet univers médiéval complexe où l’on doit s’adapter à l’aléatoire omniprésent du jeu et mettre en place la meilleure stratégie à partir de ce que l’on a obtenu pour aller le plus loin possible. Plus on connaitra les règles fixées par le développeur, plus la probabilité d’aller loin augmentera, en somme il faut devenir une encyclopédie du jeu pour le terminer. C’est un gros investissement personnel que de terminer un tel jeu car les mécanismes sont très nombreux et rien ou presque n’est expliqué, il faut tester pour avancer. Cela peut sembler frustrant et laborieux mais le jeu est tellement addictif que la frustration est vite remplacée par la jouissance. C’est le système de drop associé aux stratégies que l’on met en place par l’imagination et l’analyse qui rend le jeu si addictif. Le drop est la clef de tout MMORPG, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir par exemple une arme particulièrement puissante tôt dans le jeu juste par chance, la stratégie sera notre faculté à nous sortir de situation particulièrement critique grâce aux contenus des dizaines d’objets de notre inventaire.

Contrairement à un autre rogue-like et parce que j’ai joué à la mise à jour 2013 (première version en 1994 en Ascii) le jeu est très correct graphiquement, c’est un plaisir de découvrir son esthétique. De plus, il y a une carte du monde avec des rencontres aléatoires à la manière des RPG japonais, ce qui dépasse le classique : 1 rogue-like = 1 donjon. Non là il y a près de trente zones différentes, nombreuses sont des donjons, mais il y aussi des villages, une zone sous-marine gardée par un puissant dragon bleu, à l’intérieur d’un gouffre (matériel d’escalade obligatoire !) on trouvera une bibliothèque très ancienne surveillée par un gardien qui ne vit plus que sous la forme d’un spectre, on entrera par hasard dans une forêt de fées particulièrement brutales etc … Je le disais l’univers est beau et pas mal d’idée sont originales mais le plus impressionnant c’est ses musiques. Alors qu’habituellement il n’y a pas de musique dans ce genre de jeu, ce qui permet de mettre l’album que l’on veut en fond sonore et donc de produire sa propre ambiance, dans ADOM on nous impose une atmosphère composée de musiques tantôt guillerettes tantôt froides voire stressantes, mais toujours d’une qualité irréprochable. La musique de la découverte d’un autel d’une déité est particulièrement réussie.

Pour un jeu de ce genre il très complet, les amateurs de Minecraft s’y retrouveront dans la possibilité selon les Skills de cuisiner, de fabriquer et améliorer ses propres armes après avoir pris le temps au préalable d’obtenir progressivement des minerais de fer, de mithril, d’adamantium ou d’eternium, ou encore dans l’opportunité de pratiquer l’alchimie ce qui est très utile mais dangereux d’autant qu’on ne connait pas les recettes... Les classes et les races sont nombreuses et bien distinctes : on passe du Troll Paladin au Gnome Assassin en passant par l’Elfe millénaire Nécromancier et l’Orc Fermier. Notre background dépendra de ce choix de départ et on pourra obtenir ses talents en fonction de question que l’on nous pose au début (aléatoires), nos réponses mettront en avant notre état d’esprit : plutôt bourrin tant dans la force que dans l’esprit, plus fin privilégiant les parchemins aux grosses armures ou tout simplement avide de reconnaissances et de richesses !

Terinyo le village du début de l'aventure

Je n’ai pas parlé du scénario, il n’invente pas le sable mais a le mérite d’augmenter la tension du jeu et nous propose souvent pas mal de quêtes secondaires parfois très intéressantes. L’objectif principal est de fermer le portail du Mal responsable de la tripoté de monstres qui ont envahie les terres d’Ancardia et surtout responsable de la corruption du bien !

Tout au long du jeu on va recevoir des corruptions aléatoires qui vont nous rapprocher du chaos, ces corruptions sont amusantes autant que contraignantes : fait pousser des cornes sur la tête nous rendant plus puissant en corps-à-corps mais aussi plus laid ce qui augmente le prix des objets dans les magasins, rend notre peau et notre chair malades : de temps en temps des vers dociles sortiront de notre corps pour attaquer les ennemis, développe des tentacules devant notre bouche ce qui nous empêche de parler et donc de lancer des sorts etc… La tension augmente car la fréquence de l’apparition des corruptions augmente avec le temps : passé la barre des 90 jours de jeu (1 tour = 1 déplacement = 30 secondes de jeu) la fréquence est doublée, il faut donc se dépêcher ! De même, plus on s’enfonce dans un donjon plus cette fréquence augmente et au bout d’une vingtaine de corruptions on perd la partie se transformant en créature du chaos.

Je parlais d’originalité, un exemple, dans un des niveaux du donjon principal, on se retrouve dans une zone jonchée de cadavres d’ennemis, ceci est dû au cri effroyable d’un monstre unique le Banshee : un fantôme jeune mariée qui par son cri strident tue directement quiconque s’en approche. Voici sa description :

“The banshee, a luminous spirit, manages to appear sad and angry at the same time, obviously a being in an enraged lamentation. Her wail is renowned as it is filled with such sorrow and hopelessness that most who hear it abandon life instantly, passing beyond their current pains.”

Il faut savoir que dans ce jeu, de temps on temps on trouvera des ruches d’abeilles, après les avoir tués (je sais c’est mal), on peut obtenir du miel, ce miel on peut s’en mettre dans les oreilles ce qui nous rend sourd et nous permet de défaire le Banshee sans encombre.
Autres originalités : les fins multiples : on n’est pas obligés de refermer la porte du chaos, je n’en dit pas plus.

Les morts sont aussi nombreuses qu’originales, on peut bien sûr mourir de faim/noyé/par point de vie à 0, mais on peut aussi mourir après avoir lu un bouquin trop compliqué, en apprenti alchimiste produire une explosion saisissante autant que dévastatrice ou recevoir l’éclair de notre Dieu pour l’avoir particulièrement courroucé etc… La religion comme dans tout rogue-like est primordiale, les sacrifices sur les autels sont monnaie courant et le respect de notre alignement ne doit pas être pris à la légère.


Je conclus, ce jeu est très très difficile. Il réclame vraiment un important investissement de soi pour en venir à bout, je me suis tout le long servi du wiki de ce jeu pour en savoir plus (plus de 1300 pages !) et il est vrai qu’au premier abord le jeu semble rébarbatif car les première zones proposées sont des donjons dotés du même environnement (bien que de structure aléatoire) et du même type d’ennemi (les monstres plus puissants apparaissent au fur et à mesure que notre personnage devient plus fort). Mais en persévérant on voit enfin la grandeur du jeu. Ce jeu a deux difficultés majeures : sa durée il faut au moins 25 heures de jeu (en jouant rapidement) pour le défaire, 25 h de jeu sans mourir ! et l’enchaînement de ces événements. Il faut découvrir la chronologie des lieux dans lesquels on peut ou on ne peut aller, le problème étant que cette chronologie n’est absolument pas linéaire ! Il faut donc faire des tests.

Patience, persévérance et passion sont les caractéristiques clefs pour avoir la possibilité de prendre du plaisir à jouer à ce jeu gratuit autant que passionnant.

samedi 7 décembre 2013

Lettre d'une inconnue nouvelle de Stefan Zweig (1922)





C'est l'histoire d'une adolescente, d'une femme, puis d'une mère dont le chemin de vie n’est nourri que par une seule chose : l'Amour. Entendons-nous bien, rien d’autre n’a de valeur, nul ne compte, tout est négligeable et négligé en comparaison à cet amour voué à un être placé au rang de quasi divinité. Car même si l’amour donne des ailes et qu’il permet d’atteindre l’être chéri monté sur un piédestal irrationnel autant que pharaonique, la chute bien qu’effroyablement dure à encaisser, doit permettre de reprendre peu à peu des points de repères réels et d’aller de l’avant.

Or, la passion est telle, que cette descente n’atteint jamais le sol, l’espoir subsiste continuellement, minuscule et irrépressible. Rendez-vous compte, consacrer sa vie entière à une seule et même pensée. Rien d’autre. Un véritable sacrifice, qui va bien au-delà de toute ardeur saine, tout cela afin de jouir d’une affection partagée qu’elle ne pense même pas méritée. L’œuvre est lourde dans ce que l’auteur nous révèle de la personnalité de cette femme car elle désire un amour utopique. Elle aimerait de toute son âme que sa passion soit partagée, mais sans qu’il n’est à changer, à évoluer. C’est un écrivain volage, multipliant les conquêtes, les aventures et elle ne souhaite pas qu’il change pour elle, bien que son amour la dévore complètement. Elle est terriblement complexée. Elle ne vit plus pour elle mais pour lui et ce transfert, qui se développe au fil du temps, sous le joug de son amour, la dépossède complétement de sa valeur, elle n’est rien face à lui. Ce n’est pas qu’elle doive accepter son comportement superficiel, c’est qu’il faut qu’elle change pour ne pas avoir à le changer, elle doit être à sa disposition. Un être comme elle, ne mérite pas d’influencer la vie de cet homme, quitte à en subir les peines les plus dures. Finalement, c’est comme si elle ne méritait pas de l’aimer, qu’elle ne méritait même pas de consacrer sa vie pour lui.


Cette œuvre est une nouvelle enchâssée, ce n’est pas seulement une lettre de cette amante pour cet écrivain, mais aussi une introduction qui nous permet de connaître l’état d’esprit et de situer le contexte de celui pour qui la lettre est destinée, ainsi qu’un paragraphe final et concis, nous rassasiant quelque peu de la réaction du principal objet de cette aventure. On a donc à la fois l’évolution de l’état d’esprit de l’auteur de la lettre et celui de l’homme aimé.

Bien sûr, Stefan Zweig aurait pu ne mettre que la lettre, nous laissant ainsi à la fin dans une situation de frustration car jamais nous n’aurions su l’impact qu’elle a eu. En revanche, notre liberté d’interprétation aurait été totale. Les fins ouvertes sont frustrantes et succèdent le plus souvent à un pincement au cœur particulièrement virulent, mais la frustration est une émotion tellement forte que l’artiste a finalement réussi son coup, car il a su faire naître en nous une émotion puissante à l’égard de son œuvre. Stefan Zweig, en fin manipulateur de l’émotion, nous offre une prémisse de la réaction de l’homme. Il a pris le parti de nous présenter par ce dernier paragraphe sa vision plutôt que de nous laisser complètement dans le vague.


Une question se pose, est-ce que l’amour sans limite qu’à cette femme pour cet homme est un amour pour ce que cet homme est réellement, elle qui le connait si peu, ou est-ce de l’amour envers le concept d’amour ?

On aime pour être aimé en retour, c’est de l’égoïsme, le rejet de l’être aimé est une véritable claque envers l’ego qui a besoin de se sentir aimé pour s’épanouir. Mais si le rejet n’a pas d’influence, est-ce que cette femme n’est pas amoureuse de l’amour ? De l’idéalisation irréelle qu’elle en fait ? L’amour est cet homme, on peut penser qu’elle aime cet homme, on peut aussi penser qu’elle aime l’amour que représente cet homme, ce qui est bien différent. Elle ne peut éloigner ses pensées pour cet homme, car si elle se tournait vers une nouvelle direction, ce serait comme si elle mettait l’amour de côté et qu’elle pouvait vivre sans. Or, elle y est absolument attachée.

Je sais que cette hypothèse peut sortir de l’idée que l’on peut se faire de cette nouvelle et pendant sa lecture à aucun moment je me mis à penser ainsi. Pourtant, plus j’y pense plus je me dis que, comme tout autre raisonnement,  cette vision est valable.


SPOIL : Lorsqu’elle a un enfant de lui, l’amour qui enflamme son cœur se déporte progressivement vers son fils et donc dans le même temps s’éloigne de lui. Elle n’aime pas vraiment son fils, elle aime ce qu’il représente, cet enfant symbolise l’amour qu’elle donne et qu’elle reçoit en retour. Le concept d’amour qu’elle ressentait au plus profond de sa chair pour cet homme, s’est matérialisé sous une nouvelle forme, celle de son fils. Mais cette représentation n’est qu’une pâle copie de l’originale et elle finira par se tourner vers l’objet premier de ses désirs car il représente la découverte première de l’amour. (fin SPOIL)

En ajoutant l’idée qu’elle a une passion pour l’amour en tant que concept à ce que je disais au début : « Finalement, c’est comme si elle ne méritait pas de l’aimer, qu’elle ne méritait même pas de consacrer sa vie pour lui. », c’est comme si je disais que ce qu’elle ressent, c’est de ne pas mériter l’amour réciproque de manière générale. Elle ne s’attribue pas suffisamment de valeur pour vivre un tel bonheur. C’est l’amour qui l’a frappé si jeune qui a induit le complexe de ne pas mériter d’y avoir accès. Par idéalisme, sa découverte de l’amour n’a pas pu s’accompagner de la possibilité de le vivre. A moins, que finalement elle ne préfère l’amour qu’au stade fantasmé.