samedi 7 décembre 2013

Lettre d'une inconnue nouvelle de Stefan Zweig (1922)





C'est l'histoire d'une adolescente, d'une femme, puis d'une mère dont le chemin de vie n’est nourri que par une seule chose : l'Amour. Entendons-nous bien, rien d’autre n’a de valeur, nul ne compte, tout est négligeable et négligé en comparaison à cet amour voué à un être placé au rang de quasi divinité. Car même si l’amour donne des ailes et qu’il permet d’atteindre l’être chéri monté sur un piédestal irrationnel autant que pharaonique, la chute bien qu’effroyablement dure à encaisser, doit permettre de reprendre peu à peu des points de repères réels et d’aller de l’avant.

Or, la passion est telle, que cette descente n’atteint jamais le sol, l’espoir subsiste continuellement, minuscule et irrépressible. Rendez-vous compte, consacrer sa vie entière à une seule et même pensée. Rien d’autre. Un véritable sacrifice, qui va bien au-delà de toute ardeur saine, tout cela afin de jouir d’une affection partagée qu’elle ne pense même pas méritée. L’œuvre est lourde dans ce que l’auteur nous révèle de la personnalité de cette femme car elle désire un amour utopique. Elle aimerait de toute son âme que sa passion soit partagée, mais sans qu’il n’est à changer, à évoluer. C’est un écrivain volage, multipliant les conquêtes, les aventures et elle ne souhaite pas qu’il change pour elle, bien que son amour la dévore complètement. Elle est terriblement complexée. Elle ne vit plus pour elle mais pour lui et ce transfert, qui se développe au fil du temps, sous le joug de son amour, la dépossède complétement de sa valeur, elle n’est rien face à lui. Ce n’est pas qu’elle doive accepter son comportement superficiel, c’est qu’il faut qu’elle change pour ne pas avoir à le changer, elle doit être à sa disposition. Un être comme elle, ne mérite pas d’influencer la vie de cet homme, quitte à en subir les peines les plus dures. Finalement, c’est comme si elle ne méritait pas de l’aimer, qu’elle ne méritait même pas de consacrer sa vie pour lui.


Cette œuvre est une nouvelle enchâssée, ce n’est pas seulement une lettre de cette amante pour cet écrivain, mais aussi une introduction qui nous permet de connaître l’état d’esprit et de situer le contexte de celui pour qui la lettre est destinée, ainsi qu’un paragraphe final et concis, nous rassasiant quelque peu de la réaction du principal objet de cette aventure. On a donc à la fois l’évolution de l’état d’esprit de l’auteur de la lettre et celui de l’homme aimé.

Bien sûr, Stefan Zweig aurait pu ne mettre que la lettre, nous laissant ainsi à la fin dans une situation de frustration car jamais nous n’aurions su l’impact qu’elle a eu. En revanche, notre liberté d’interprétation aurait été totale. Les fins ouvertes sont frustrantes et succèdent le plus souvent à un pincement au cœur particulièrement virulent, mais la frustration est une émotion tellement forte que l’artiste a finalement réussi son coup, car il a su faire naître en nous une émotion puissante à l’égard de son œuvre. Stefan Zweig, en fin manipulateur de l’émotion, nous offre une prémisse de la réaction de l’homme. Il a pris le parti de nous présenter par ce dernier paragraphe sa vision plutôt que de nous laisser complètement dans le vague.


Une question se pose, est-ce que l’amour sans limite qu’à cette femme pour cet homme est un amour pour ce que cet homme est réellement, elle qui le connait si peu, ou est-ce de l’amour envers le concept d’amour ?

On aime pour être aimé en retour, c’est de l’égoïsme, le rejet de l’être aimé est une véritable claque envers l’ego qui a besoin de se sentir aimé pour s’épanouir. Mais si le rejet n’a pas d’influence, est-ce que cette femme n’est pas amoureuse de l’amour ? De l’idéalisation irréelle qu’elle en fait ? L’amour est cet homme, on peut penser qu’elle aime cet homme, on peut aussi penser qu’elle aime l’amour que représente cet homme, ce qui est bien différent. Elle ne peut éloigner ses pensées pour cet homme, car si elle se tournait vers une nouvelle direction, ce serait comme si elle mettait l’amour de côté et qu’elle pouvait vivre sans. Or, elle y est absolument attachée.

Je sais que cette hypothèse peut sortir de l’idée que l’on peut se faire de cette nouvelle et pendant sa lecture à aucun moment je me mis à penser ainsi. Pourtant, plus j’y pense plus je me dis que, comme tout autre raisonnement,  cette vision est valable.


SPOIL : Lorsqu’elle a un enfant de lui, l’amour qui enflamme son cœur se déporte progressivement vers son fils et donc dans le même temps s’éloigne de lui. Elle n’aime pas vraiment son fils, elle aime ce qu’il représente, cet enfant symbolise l’amour qu’elle donne et qu’elle reçoit en retour. Le concept d’amour qu’elle ressentait au plus profond de sa chair pour cet homme, s’est matérialisé sous une nouvelle forme, celle de son fils. Mais cette représentation n’est qu’une pâle copie de l’originale et elle finira par se tourner vers l’objet premier de ses désirs car il représente la découverte première de l’amour. (fin SPOIL)

En ajoutant l’idée qu’elle a une passion pour l’amour en tant que concept à ce que je disais au début : « Finalement, c’est comme si elle ne méritait pas de l’aimer, qu’elle ne méritait même pas de consacrer sa vie pour lui. », c’est comme si je disais que ce qu’elle ressent, c’est de ne pas mériter l’amour réciproque de manière générale. Elle ne s’attribue pas suffisamment de valeur pour vivre un tel bonheur. C’est l’amour qui l’a frappé si jeune qui a induit le complexe de ne pas mériter d’y avoir accès. Par idéalisme, sa découverte de l’amour n’a pas pu s’accompagner de la possibilité de le vivre. A moins, que finalement elle ne préfère l’amour qu’au stade fantasmé.

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